25 novembre 2017

Retour à Hiroshima et Extraits de culture japonaise


Retour à Hiroshima (par François)

Bonjour à tous,

Par la fenêtre du train : le paysage époustouflant de la Thaïlande, tandis que nous laissons Bangkok derrière nous et filons (en 14h de train) vers Chiang Maï, dans le nord du pays. (Un coucher de soleil incendiaire dont je n'ai vu d'équivalent que sur la côte ouest Australienne, dans une autre vie.)

Le Japon entre petit à petit dans un passé étrange qu'on touche encore du bout des doigts alors que la merveilleuse Thaïlande nous engouffre et nous fascine déjà.

Après la semaine de wwoofing chez Chosan, Sophie vous l'a raconté, nous avons enchaîné les visites de Kyoto, d'Hiroshima, de l'île paradisiaque de Miyajima, et de Kanazawa, avant de passer deux semaines dans les vergers de Kazu, où nous avons cueilli moins de pommes (ravagées par les typhons successifs) que débroussaillé les vergers, géré de grands feux, répandu de l'engrais, appris un bout sur l'histoire de l'agriculture japonaise et nous sommes trempés parfois le soir dans l'un des onsen de la région, alternant les bains à 42°, 30°, 20° et re-42° au bout d'une longue journée de jardinage, à l'ombre du mont Fuji. (Le mont Fuji se voit à une distance de deux cent kilomètres par temps clair. S'il se trouvait à Bruxelles, il se verrait depuis n'importe quel endroit en Belgique.)

Les vergers de Kazu, avec vue sur le Mont Fuji

De toutes ces expériences, c'est (évidemment ?) la visite d'Hiroshima qui m'a secoué le plus en profondeur. Nous sommes arrivés dans la ville vers 5h du matin, tandis qu'un énième typhon s'abattait sur le Japon, nous nous sommes réfugiés (complètement dans le gaz) dans un restaurant chinois qui avait le mérite d'être ouvert et nous avons médité devant notre bol de nouilles, dans cette ville où (presque) rien, par la force des choses, n'a plus de 72 ans.

Nous n'étions là que pour le musée de la paix, que nous avons visité trois fois, sur les deux jours de notre passage. Tout est dans le nom du musée, « musée de la paix », mais développons un peu.

À l'entrée du musée se trouve une « horloge de la paix », elle est faite de trois affichages : un quadrant classique, dont les aiguilles noires donnent l'heure, tandis que les aiguilles grises, imprimées, indiquent éternellement 8h15. Sous ce quadrant : deux affichages numériques indiquent, l'un le nombre de jours écoulés depuis la dernière utilisation militaire de la bombe A, et l'autre le nombre de jours écoulés depuis le dernier essai d'arme atomique quelque part dans le monde. (Ce quadrant-là indiquait 51, ce matin-là.)

Le musée vise un objectif unique : témoigner de l'horreur des effets de la bombe dans le but de voir un jour le monde débarrassé de tout armement nucléaire. La ligne de conduite des muséographes a été d'éviter tout discours sur les responsabilités/culpabilités nationales et axer toute la visite sur l'avènement scientifique de la bombe, son fonctionnement, ses effets dévastateurs, l'épisode de la guerre froide (le pic du nombre d'armes atomiques dans le monde en 1986) et ensuite  la courbe encourageante du désarmement nucléaire, et l'engagement progressif de certains pays à démonter leur arsenal nucléaire.

Parmi les moments forts de cette visite : le monument dédié aux enfants ; au sommet de ce monument, une statue en bronze de Sadako Sazaki, une enfant morte de leucémie à l'âge de douze ans, suite à l'exposition au rayonnement radioactif à l'âge de deux ans. Autour de cette statue, des dizaines de milliers de « paper cranes » apportés par les visiteurs, cocotes en papiers devenues symbole de paix au Japon, en souvenirs de celles que Sadako fabriquait sur son lit d'hôpital. Au pied de cette statue, une roseraie, dont la première rose vient de la maison d'Anne Frank à Amsterdam.

On considère qu'environs 140 000 habitants d'Hiroshima sont morts à la fin de l'année 1946 ; soit le jour de l'explosion, soit des suites de leurs blessures dans les mois qui ont suivi l'explosion. Les survivants ont traversé la seconde moitié du XXème siècle à se demander si et quand ils déclareraient un cancer. Il reste dans le parc un homme de 72 ans, exposé in-utero, qui témoigne de ce qu'a été l'explosion, et sa propre vie. Il n'a pas été si évident de récolter des témoignages au fil des années, d'abord par ce que le secret militaire l'empêchait, ensuite parce que beaucoup de témoins ont longtemps refusé de témoigner. Mais dans les grandes lignes, les survivants parlent d'un grand flash de lumière, suivi d'un « réveil » en enfer où les trois seules couleurs étaient le noir, le rouge et le gris, où l'autre perception était le bruit des hurlements, et pour la plupart, le spectacle de leur propre peau pendouillant en lambeaux, en particulier de leurs mains qu'ils tenaient devant eux comme des zombies.

Les corps étaient répandus par milliers parmi les débris de bois et de pierre. Les gens descendaient dans le fleuve pour échapper au flammes et « apaiser » leurs souffrances, le lit du fleuve était littéralement couvert de cadavres et de mourants à la dérive. Après quelques temps, la bouillie de cendres radioactives s'est mise à pleuvoir, les gens mouraient de soif et ouvraient la bouche vers le ciel. Dans les heures qui suivirent, les mourants marmonnaient « miso », « de l'eau », elle était évidemment lourdement radioactive mais personne ne le comprenait vraiment.

Aujourd'hui, dans le musée du parc se trouve une grande cloche de bronze couverte d'une carte du monde en bas relief ; une cloche de la paix. Les passants sont invités à la faire sonner pour que résonne l'appel à la paix dans le monde. Elle sonne sans arrêt, tous les jours, toutes les heures, à quelques centaines de mètres du point qu'on appelle l'hypocentre.

On trouve aussi, dans le parc, la flamme dont Sophie parlait : une flamme qui doit s'éteindre le jour où on démontera la dernière bombe atomique dans le monde. Cette flamme repose sur un socle en béton qui semble flotter sur l'eau ; une étendue d'eau qui représente la dernière volonté des mourants : « miso ».

Cette visite m'a vraiment bouleversé. J'espère ne pas vous avoir plombé la journée... mais je tenais à partager un peu de cette impression avec vous.

Nous avons quitté le Japon le 16 novembre, laissant derrière nous un pays qui nous a laissé une impression très différente des fantasmes que nous en avions au moment de réserver nos billets d'avions.

Tokyo nous avait assaillis de cette étonnante impression de découvrir pour la première fois un pays où les standards d'hygiène, de propreté privée et publique, et de sécurité urbaine sont bien au-delà de ce que nous vivons dans les capitales européennes.

Nous avons ensuite ressenti la pression professionnelle que les japonnais acceptent, les formules de politesse « hypernormées », la distance physique, et cette culture très tournée vers elle-même... Mais nous avons aussi découvert avec amusement ces hurlements de formules de politesse quand on entre ou sort d'un restaurent, les salles de jeux complètement déjantées, les publicités japonaises toutes plus ridicules les unes que les autres, truffées de chorégraphie, le saké coulant parfois à flot... Un pays très contrasté, entre rigidité et effets de soupape.

Des paysages uniques, qui m'ont fait réalisé que l'esthétique des estampes japonaises, que j'avais toujours regardée comme une vue de l'esprit surréaliste, est en fait une représentation étonnamment réaliste d'une nature et de paysages qui sont effectivement comme ça ; incomparables.

Nous avons évidemment adoré faire cette expérience surprenante, mais on doit bien avouer que débarquer à Bangkok et y retrouver une ambiance plus proche de celle de la Chine : un joyeux Capharnaüm où on ne doit plus tout prévoir 10 jours à l'avance et où on peut à nouveau se laisser porter au jour le jour nous enlève une sorte de poids japonais qui ne nous appartenait pas et que nous sommes heureux d'avoir laissé là-bas.

Merci de nous lire,


François


Extraits de culture japonaise (par Sophie)

Bonjour à tous,

Nos deux dernières semaines au Japon, nous les avons passées au Nakagomi Orchads en tant que volontaires, plus communément appelé (par nous 😉) « chez Kazu ».
On était intrigués (et un peu inquiets, il faut bien l’avouer) (enfin surtout moi) (c’est Sophie qui raconte) à l’idée de découvrir Kazu et le travail dans ses vergers. Il faut dire que le premier contact, par mail, avait été un peu particulier. Après qu’on lui a demandé si on pouvait venir travailler deux semaines chez lui, il nous a répondu en disant en substance « je sais pas, les occidentaux ne connaissent rien aux coutumes japonaises et j’en ai marre de tout leur expliquer, alors voici cinquante pages à lire décrivant le mode de vie japonais, un formulaire à signer comme quoi vous avez bien tout lu, tout assimilé et que vous vous engagez à tout respecter ». On avait un peu hésité, refroidis par cet étrange accueil et par cette rigidité, puis on a décidé de tenter l’aventure.

On a donc débarqué dans un grand verger où on a travaillé pendant deux semaines en compagnie d’un jeune couple d’allemands, d’une singapourienne et d’une américaine. Le travail n’était pas très varié (on a « tondu » à la débroussailleuse pendant une bonne semaine, on a coupé quelques arbres, on a répandu de l’engrais au pied les arbres fruitiers) mais on a passé de chouettes moments avec un Kazu finalement moins à cheval sur les règles que ce qu’on imaginait (enfin, de temps en temps il les répétait mais en gros on faisait comme on voulait). Ça nous a aussi fait du bien de poser nos sacs deux semaines et de mettre la main à la pâte durant ces deux dernières semaines japonaises.

L’attirail du parfait petit débroussailleur


J’en profite pour vous raconter quelques aspects des « coutumes » japonaises telles qu’on les a découvertes, et de leur mode de vie parfois bien différent du nôtre…

Les fruits. On l’a découvert chez Kazu : au Japon, les fruits sont énormes et coûtent une fortune. Il faut dire que leur technique agricole est très particulière. Les vergers sont en général petits et le travail immense : ils pollinisent manuellement les arbres (« les abeilles sont trop imprévisibles, l’être humain est bien plus rationnel et efficace ») ; « tondent » leurs vergers à la débroussailleuse une fois par mois (on a mis 8-9 jours à en venir à bout alors qu’on était cinq à bosser dessus… on vous laisse imaginer le boulot que ça constitue…) ; retirent manuellement 80% des bourgeons pour concentrer la sève de l’arbre vers quelques fruits seulement (c’est pour ça qu’ils sont si gros) ; emballent chaque fruit individuellement dans du papier (ou du plastique, on ne sait pas trop), manuellement de nouveau, pour les protéger du soleil et des pesticides ; les cueillent à la main ; répandent de l’engrais autour de chaque arbre deux fois par an… ça fait un boulot fou, ça donne des fruits énormes dans lequel il ne peut y avoir aucun coup sous peine qu’aucun japonais n’accepte d’en acheter... Tout ça a comme conséquence qu’au Japon, les fruits sont des produits de luxe ! Une pomme japonaise, ça coûte la bagatelle de… 20 euros !!! Pour une pomme hein, pas pour un kilo !!! On trouve des fruits moins chers que ça au Japon, mais ceux-là sont importés.

Les chaussures. On les retire en entrant, que ce soit dans un temple, une maison, un restaurant… Chez les particuliers, on reçoit des clapettes à prêter, ailleurs on se balade en chaussettes. Ça donne des scènes cocasses : quand un restaurant se trouve d’un côté de la rue et la cuisine de l’autre, on voit les serveurs les mains pleines de plats, traverser avec leurs chaussures, les retirer une fois arrivés à la terrasse en bois, enfiler des clapettes, servir les clients, faire demi-tour, retirer leurs clapettes, remettre leurs chaussures, retraverser la rue… Il y a aussi les clapettes spéciales toilette, à enfiler quand on y entre, et à retirer en sortant, parce que se balader avec des clapettes toilette ailleurs que dans des toilettes, c’est la honte absolue ! Et quand on explique aux Japonais qu’en Belgique, dans de tels cas, on garde ses chaussures, ils ouvrent des yeux ébahis : « mais pourquoi ? ». À quoi on répond par un « pourquoi vous retirez les vôtres ? », sans réponse jusqu’à présent 😊

Les onsen. Le Japon, pays très volcanique, c’est aussi le pays des sources chaudes. Les onsen, ou « hot spring », ou « spa » pour les européens, ce sont les bains publics, où les japonais se rendent régulièrement, pour se laver, pour se ressourcer, ou les deux. Chez Kazu, on s’y est rendus régulièrement, et si c’est un peu déconcertant au début, on a fini par adorer. Les onsen, c’est les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, et tout le monde en tenue d’Eve ou d’Adam, mais chacun de son côté. On commence par se laver dans des douches prévues à cet effet (pendant des heures pour les japonais), on se voit proposer l’aide de son voisin en mode « tu veux que je te lave le dos ? », ça papote ferme dans tous les coins (enfin, surtout chez les femmes). Passé la première fois où ça fait un peu bizarre de se déshabiller comme ça, on s’habitue, et on en redemande ! Passer des heures à se prélasser dans l’eau chaude issue de sources thermales après une dure journée de débroussaillage, on adore !

Les pubs japonaises. En Belgique, en général, dans les publicités à la télé, les gens sont classes et vendent du rêve. Au Japon… Au Japon, les publicités, c’est un étrange concours d’excentricité et de danse, sans aucune crainte du ridicule. Tapez « publicité japonaise » dans Youtube et vous trouverez vite quelques exemples !

La criminalité. Au Japon, la criminalité est très faible. Les gens n’attachent pas leurs vélos dans la rue, ils ne ferment pas leurs voitures à clé quand ils vont faire les courses (au contraire, ils laissent la porte ouverte et les clés sur le contact) et quand ils vont boire un café, leur premier geste est de déposer leur sac à main sur une table pour la réserver, avant de se rendre au comptoir pour commander. L’inverse de chez nous, donc ! Il y a bien quelques psychopathes (quand on y était, une dame de 70 ans a été condamnée à mort par pendaison (!!!) pour avoir tué trois de ses maris et raté le quatrième… Elle s’arrangeait pour être sur leur testament avant de les empoisonner !) À part ça, le taux de criminalité est tellement faible que les journaux télévisés sont cocasses : on y décrit en boucle des accidents de voiture sans gravité, à gros renforts de descriptions via Google Maps (la première voiture était là, la deuxième là, et puis, boum !)

Le travail. Les Japonais vivent au travail. Les femmes ralentissent voire le quittent quand elles ont un enfant, dont le mari ne s’occupera absolument pas, sauf un peu le week-end, puisqu’il passe ses journées, de 8h à 22h environ, au boulot ! ça ne veut pas forcément dire qu’ils bossent comme des arrachés 16h par jour, mais les entreprises japonaises cherchent à fidéliser leurs employés en leur proposant une « vie de famille » au boulot (à défaut de vie de famille en famille). La journée de travail terminée, tout le monde va boire un verre ensemble, donc tout le monde rentre à minuit chez lui. Et on quitte le boulot quand toute l’équipe a terminé de bosser, quitte à se tourner les pouces pendant trois heures en attendant que le seul qui ait encore quelques choses à faire ait terminé. La pression est énorme, il existe un mot en japonais qui veut dire « mort de travail », au sens propre, pas au figuré. Il y a plusieurs morts chaque année officiellement reconnues comme telles. Ah oui, et les japonais, ils ne prennent pas de vacances. De temps en temps un jour ou l’autre, mais leurs vingt jours de congés payés annuels (voire plus, on ne se souvient plus du nombre exact), personne n’est assez fou pour le prendre ! « Autrement à notre retour de vacances, notre boulot aura été distribué entre nos collègues et on sera devenu inutile ». Les deux semaines de vacances en été, au Japon, ça n’existe pas ! Et quand on en parle avec les japonais, ils haussent les épaules en disant que c’est la société qui veut ça, et qu’ils ne voient pas comment ça pourrait changer. En résumé : si on vous propose un jour de bosser à Tokyo, pensez à refuser 😉

Les toilettes. Au Japon, les toilettes ressemblent au poste de pilotage d’un avion. Il y a des boutons partout, les sièges sont chauffants, il y a le « jet-d’eau-pour-te-nettoyer-le-derrière-parce-que-le-papier-c’est-pas-très-hygiénique » version devant, derrière, masculin, féminin… Il y a la petite musique pour couvrir les bruits potentiellement gênants. Il y les boutons pour régler le volume de la musique, pour régler l’intensité des jets divers, etc., etc.

En conclusion, la société japonaise est par certains aspects, très différente de la nôtre. Et par d’autres, très similaire : on s’est sentis dans un pays occidentalisé, confortable, organisé, et plus avancé que le nôtre en matière de confort notamment. On a eu un peu de mal parfois à vivre cette organisation qui nous a obligés à réserver nos chambres deux-trois jours à l’avance et à planifier nos trajets. On s’est sentis un peu moins libres durant ce mois et demi et à cet égard, notre arrivée en Thaïlande il y a quelques jours nous ravit !

À bientôt,

Sophie

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