Bonjour à tous,
Par la fenêtre du train : le paysage époustouflant de la
Thaïlande, tandis que nous laissons Bangkok derrière nous et filons (en 14h de
train) vers Chiang Maï, dans le nord du pays. (Un coucher de soleil incendiaire
dont je n'ai vu d'équivalent que sur la côte ouest Australienne, dans une autre
vie.)
Le Japon entre petit à petit dans un passé étrange qu'on
touche encore du bout des doigts alors que la merveilleuse Thaïlande nous
engouffre et nous fascine déjà.
Après la semaine de wwoofing chez Chosan, Sophie vous l'a
raconté, nous avons enchaîné les visites de Kyoto, d'Hiroshima, de l'île
paradisiaque de Miyajima, et de Kanazawa, avant de passer deux semaines dans
les vergers de Kazu, où nous avons cueilli moins de pommes (ravagées par les
typhons successifs) que débroussaillé les vergers, géré de grands feux, répandu
de l'engrais, appris un bout sur l'histoire de l'agriculture japonaise et nous
sommes trempés parfois le soir dans l'un des onsen de la région, alternant les
bains à 42°, 30°, 20° et re-42° au bout d'une longue journée de jardinage, à
l'ombre du mont Fuji. (Le mont Fuji se voit à une distance de deux cent
kilomètres par temps clair. S'il se trouvait à Bruxelles, il se verrait depuis
n'importe quel endroit en Belgique.)
Les vergers de Kazu, avec vue sur le Mont Fuji |
De toutes ces expériences, c'est (évidemment ?) la visite d'Hiroshima qui m'a secoué le plus en profondeur. Nous sommes arrivés dans la ville vers 5h du matin, tandis qu'un énième typhon s'abattait sur le Japon, nous nous sommes réfugiés (complètement dans le gaz) dans un restaurant chinois qui avait le mérite d'être ouvert et nous avons médité devant notre bol de nouilles, dans cette ville où (presque) rien, par la force des choses, n'a plus de 72 ans.
Nous n'étions là que pour le musée de la paix, que nous avons
visité trois fois, sur les deux jours de notre passage. Tout est dans le nom du
musée, « musée de la paix », mais développons un peu.
À l'entrée du musée se trouve une « horloge de la
paix », elle est faite de trois affichages : un quadrant classique,
dont les aiguilles noires donnent l'heure, tandis que les aiguilles grises,
imprimées, indiquent éternellement 8h15. Sous ce quadrant : deux
affichages numériques indiquent, l'un le nombre de jours écoulés depuis la
dernière utilisation militaire de la bombe A, et l'autre le nombre de jours
écoulés depuis le dernier essai d'arme atomique quelque part dans le monde. (Ce
quadrant-là indiquait 51, ce matin-là.)
Le musée vise un objectif unique : témoigner de
l'horreur des effets de la bombe dans le but de voir un jour le monde
débarrassé de tout armement nucléaire. La ligne de conduite des muséographes a
été d'éviter tout discours sur les responsabilités/culpabilités nationales et axer
toute la visite sur l'avènement scientifique de la bombe, son fonctionnement,
ses effets dévastateurs, l'épisode de la guerre froide (le pic du nombre
d'armes atomiques dans le monde en 1986) et ensuite la courbe encourageante du désarmement
nucléaire, et l'engagement progressif de certains pays à démonter leur arsenal
nucléaire.
Parmi les moments forts de cette visite : le monument
dédié aux enfants ; au sommet de ce monument, une statue en bronze de
Sadako Sazaki, une enfant morte de leucémie à l'âge de douze ans, suite à
l'exposition au rayonnement radioactif à l'âge de deux ans. Autour de cette
statue, des dizaines de milliers de « paper cranes » apportés par les
visiteurs, cocotes en papiers devenues symbole de paix au Japon, en souvenirs
de celles que Sadako fabriquait sur son lit d'hôpital. Au pied de cette statue,
une roseraie, dont la première rose vient de la maison d'Anne Frank à
Amsterdam.
On considère qu'environs 140 000 habitants d'Hiroshima sont
morts à la fin de l'année 1946 ; soit le jour de l'explosion, soit des
suites de leurs blessures dans les mois qui ont suivi l'explosion. Les
survivants ont traversé la seconde moitié du XXème siècle à se demander si et
quand ils déclareraient un cancer. Il reste dans le parc un homme de 72 ans,
exposé in-utero, qui témoigne de ce qu'a été l'explosion, et sa propre vie. Il
n'a pas été si évident de récolter des témoignages au fil des années, d'abord
par ce que le secret militaire l'empêchait, ensuite parce que beaucoup de
témoins ont longtemps refusé de témoigner. Mais dans les grandes lignes, les
survivants parlent d'un grand flash de lumière, suivi d'un « réveil »
en enfer où les trois seules couleurs étaient le noir, le rouge et le gris, où
l'autre perception était le bruit des hurlements, et pour la plupart, le
spectacle de leur propre peau pendouillant en lambeaux, en particulier de leurs
mains qu'ils tenaient devant eux comme des zombies.
Les corps étaient répandus par milliers parmi les débris de
bois et de pierre. Les gens descendaient dans le fleuve pour échapper au
flammes et « apaiser » leurs souffrances, le lit du fleuve était
littéralement couvert de cadavres et de mourants à la dérive. Après quelques
temps, la bouillie de cendres radioactives s'est mise à pleuvoir, les gens
mouraient de soif et ouvraient la bouche vers le ciel. Dans les heures qui
suivirent, les mourants marmonnaient « miso », « de
l'eau », elle était évidemment lourdement radioactive mais personne ne le
comprenait vraiment.
Aujourd'hui, dans le musée du parc se trouve une grande
cloche de bronze couverte d'une carte du monde en bas relief ; une cloche
de la paix. Les passants sont invités à la faire sonner pour que résonne
l'appel à la paix dans le monde. Elle sonne sans arrêt, tous les jours, toutes
les heures, à quelques centaines de mètres du point qu'on appelle l'hypocentre.
On trouve aussi, dans le parc, la flamme dont Sophie
parlait : une flamme qui doit s'éteindre le jour où on démontera la
dernière bombe atomique dans le monde. Cette flamme repose sur un socle en béton
qui semble flotter sur l'eau ; une étendue d'eau qui représente la
dernière volonté des mourants : « miso ».
Cette visite m'a vraiment bouleversé. J'espère ne pas vous
avoir plombé la journée... mais je tenais à partager un peu de cette impression
avec vous.
Nous avons quitté le Japon le 16 novembre, laissant derrière
nous un pays qui nous a laissé une impression très différente des fantasmes que
nous en avions au moment de réserver nos billets d'avions.
Tokyo nous avait assaillis de cette étonnante impression de
découvrir pour la première fois un pays où les standards d'hygiène, de propreté
privée et publique, et de sécurité urbaine sont bien au-delà de ce que nous
vivons dans les capitales européennes.
Nous avons ensuite ressenti la pression professionnelle que
les japonnais acceptent, les formules de politesse « hypernormées »,
la distance physique, et cette culture très tournée vers elle-même... Mais nous
avons aussi découvert avec amusement ces hurlements de formules de politesse
quand on entre ou sort d'un restaurent, les salles de jeux complètement
déjantées, les publicités japonaises toutes plus ridicules les unes que les
autres, truffées de chorégraphie, le saké coulant parfois à flot... Un pays
très contrasté, entre rigidité et effets de soupape.
Des paysages uniques, qui m'ont fait réalisé que l'esthétique
des estampes japonaises, que j'avais toujours regardée comme une vue de
l'esprit surréaliste, est en fait une représentation étonnamment réaliste d'une
nature et de paysages qui sont effectivement comme ça ; incomparables.
Nous avons évidemment adoré faire cette expérience
surprenante, mais on doit bien avouer que débarquer à Bangkok et y retrouver
une ambiance plus proche de celle de la Chine : un joyeux Capharnaüm où on
ne doit plus tout prévoir 10 jours à l'avance et où on peut à nouveau se
laisser porter au jour le jour nous enlève une sorte de poids japonais qui ne
nous appartenait pas et que nous sommes heureux d'avoir laissé là-bas.
Merci de nous lire,
François
Extraits de culture japonaise (par Sophie)
Bonjour à tous,
Nos deux dernières semaines au Japon, nous les avons passées
au Nakagomi Orchads en tant que volontaires, plus communément appelé (par
nous 😉) « chez
Kazu ».
On était intrigués (et un peu inquiets, il faut bien
l’avouer) (enfin surtout moi) (c’est Sophie qui raconte) à l’idée de découvrir
Kazu et le travail dans ses vergers. Il faut dire que le premier contact, par
mail, avait été un peu particulier. Après qu’on lui a demandé si on pouvait
venir travailler deux semaines chez lui, il nous a répondu en disant en
substance « je sais pas, les occidentaux ne connaissent rien aux coutumes
japonaises et j’en ai marre de tout leur expliquer, alors voici cinquante pages
à lire décrivant le mode de vie japonais, un formulaire à signer comme quoi
vous avez bien tout lu, tout assimilé et que vous vous engagez à tout respecter ».
On avait un peu hésité, refroidis par cet étrange accueil et par cette
rigidité, puis on a décidé de tenter l’aventure.
On a donc débarqué dans un grand verger où on a travaillé
pendant deux semaines en compagnie d’un jeune couple d’allemands, d’une
singapourienne et d’une américaine. Le travail n’était pas très varié (on a
« tondu » à la débroussailleuse pendant une bonne semaine, on a coupé
quelques arbres, on a répandu de l’engrais au pied les arbres fruitiers) mais
on a passé de chouettes moments avec un Kazu finalement moins à cheval sur les
règles que ce qu’on imaginait (enfin, de temps en temps il les répétait mais en
gros on faisait comme on voulait). Ça nous a aussi fait du bien de poser nos
sacs deux semaines et de mettre la main à la pâte durant ces deux dernières
semaines japonaises.
L’attirail du parfait petit débroussailleur |
J’en profite pour vous raconter quelques aspects des «
coutumes » japonaises telles qu’on les a découvertes, et de leur mode de
vie parfois bien différent du nôtre…
Les fruits. On l’a découvert chez Kazu : au Japon, les
fruits sont énormes et coûtent une fortune. Il faut dire que leur technique
agricole est très particulière. Les vergers sont en général petits et le
travail immense : ils pollinisent manuellement les arbres (« les
abeilles sont trop imprévisibles, l’être humain est bien plus rationnel et
efficace ») ; « tondent » leurs vergers à la
débroussailleuse une fois par mois (on a mis 8-9 jours à en venir à bout alors
qu’on était cinq à bosser dessus… on vous laisse imaginer le boulot que ça
constitue…) ; retirent manuellement 80% des bourgeons pour concentrer la
sève de l’arbre vers quelques fruits seulement (c’est pour ça qu’ils sont si
gros) ; emballent chaque fruit individuellement dans du papier (ou du
plastique, on ne sait pas trop), manuellement de nouveau, pour les protéger du
soleil et des pesticides ; les cueillent à la main ; répandent de
l’engrais autour de chaque arbre deux fois par an… ça fait un boulot fou, ça
donne des fruits énormes dans lequel il ne peut y avoir aucun coup sous peine
qu’aucun japonais n’accepte d’en acheter... Tout ça a comme conséquence qu’au
Japon, les fruits sont des produits de luxe ! Une pomme japonaise, ça
coûte la bagatelle de… 20 euros !!! Pour une pomme hein, pas pour un
kilo !!! On trouve des fruits moins chers que ça au Japon, mais ceux-là
sont importés.
Les chaussures. On les retire en entrant, que ce soit dans
un temple, une maison, un restaurant… Chez les particuliers, on reçoit des
clapettes à prêter, ailleurs on se balade en chaussettes. Ça donne des scènes
cocasses : quand un restaurant se trouve d’un côté de la rue et la cuisine
de l’autre, on voit les serveurs les mains pleines de plats, traverser avec leurs
chaussures, les retirer une fois arrivés à la terrasse en bois, enfiler des
clapettes, servir les clients, faire demi-tour, retirer leurs clapettes,
remettre leurs chaussures, retraverser la rue… Il y a aussi les clapettes
spéciales toilette, à enfiler quand on y entre, et à retirer en sortant, parce
que se balader avec des clapettes toilette ailleurs que dans des toilettes,
c’est la honte absolue ! Et quand on explique aux Japonais qu’en Belgique,
dans de tels cas, on garde ses chaussures, ils ouvrent des yeux ébahis :
« mais pourquoi ? ». À quoi on répond par un « pourquoi
vous retirez les vôtres ? », sans réponse jusqu’à présent 😊
Les onsen. Le Japon, pays très volcanique, c’est aussi le
pays des sources chaudes. Les onsen, ou « hot spring », ou
« spa » pour les européens, ce sont les bains publics, où les
japonais se rendent régulièrement, pour se laver, pour se ressourcer, ou les
deux. Chez Kazu, on s’y est rendus régulièrement, et si c’est un peu
déconcertant au début, on a fini par adorer. Les onsen, c’est les hommes d’un
côté, les femmes de l’autre, et tout le monde en tenue d’Eve ou d’Adam, mais
chacun de son côté. On commence par se laver dans des douches prévues à cet
effet (pendant des heures pour les japonais), on se voit proposer l’aide de son
voisin en mode « tu veux que je te lave le dos ? », ça papote
ferme dans tous les coins (enfin, surtout chez les femmes). Passé la première
fois où ça fait un peu bizarre de se déshabiller comme ça, on s’habitue, et on
en redemande ! Passer des heures à se prélasser dans l’eau chaude issue de
sources thermales après une dure journée de débroussaillage, on adore !
Les pubs japonaises. En Belgique, en général, dans les
publicités à la télé, les gens sont classes et vendent du rêve. Au Japon… Au
Japon, les publicités, c’est un étrange concours d’excentricité et de danse, sans
aucune crainte du ridicule. Tapez « publicité japonaise » dans
Youtube et vous trouverez vite quelques exemples !
La criminalité. Au Japon, la criminalité est très faible.
Les gens n’attachent pas leurs vélos dans la rue, ils ne ferment pas leurs
voitures à clé quand ils vont faire les courses (au contraire, ils laissent la
porte ouverte et les clés sur le contact) et quand ils vont boire un café, leur
premier geste est de déposer leur sac à main sur une table pour la réserver,
avant de se rendre au comptoir pour commander. L’inverse de chez nous,
donc ! Il y a bien quelques psychopathes (quand on y était, une dame de 70
ans a été condamnée à mort par pendaison (!!!) pour avoir tué trois de ses
maris et raté le quatrième… Elle s’arrangeait pour être sur leur testament
avant de les empoisonner !) À part ça, le taux de criminalité est
tellement faible que les journaux télévisés sont cocasses : on y décrit en
boucle des accidents de voiture sans gravité, à gros renforts de descriptions via
Google Maps (la première voiture était là, la deuxième là, et puis,
boum !)
Le travail. Les Japonais vivent au travail. Les femmes
ralentissent voire le quittent quand elles ont un enfant, dont le mari ne
s’occupera absolument pas, sauf un peu le week-end, puisqu’il passe ses
journées, de 8h à 22h environ, au boulot ! ça ne veut pas forcément dire
qu’ils bossent comme des arrachés 16h par jour, mais les entreprises japonaises
cherchent à fidéliser leurs employés en leur proposant une « vie de famille »
au boulot (à défaut de vie de famille en famille). La journée de travail
terminée, tout le monde va boire un verre ensemble, donc tout le monde rentre à
minuit chez lui. Et on quitte le boulot quand toute l’équipe a terminé de
bosser, quitte à se tourner les pouces pendant trois heures en attendant que le
seul qui ait encore quelques choses à faire ait terminé. La pression est
énorme, il existe un mot en japonais qui veut dire « mort de
travail », au sens propre, pas au figuré. Il y a plusieurs morts chaque
année officiellement reconnues comme telles. Ah oui, et les japonais, ils ne
prennent pas de vacances. De temps en temps un jour ou l’autre, mais leurs
vingt jours de congés payés annuels (voire plus, on ne se souvient plus du
nombre exact), personne n’est assez fou pour le prendre ! « Autrement
à notre retour de vacances, notre boulot aura été distribué entre nos collègues
et on sera devenu inutile ». Les deux semaines de vacances en été, au
Japon, ça n’existe pas ! Et quand on en parle avec les japonais, ils
haussent les épaules en disant que c’est la société qui veut ça, et qu’ils ne
voient pas comment ça pourrait changer. En résumé : si on vous propose un
jour de bosser à Tokyo, pensez à refuser 😉
Les toilettes. Au Japon, les toilettes ressemblent au poste
de pilotage d’un avion. Il y a des boutons partout, les sièges sont chauffants,
il y a le
« jet-d’eau-pour-te-nettoyer-le-derrière-parce-que-le-papier-c’est-pas-très-hygiénique »
version devant, derrière, masculin, féminin… Il y a la petite musique pour
couvrir les bruits potentiellement gênants. Il y les boutons pour régler le
volume de la musique, pour régler l’intensité des jets divers, etc., etc.
En conclusion, la société japonaise est par certains
aspects, très différente de la nôtre. Et par d’autres, très similaire : on
s’est sentis dans un pays occidentalisé, confortable, organisé, et plus avancé
que le nôtre en matière de confort notamment. On a eu un peu de mal parfois à
vivre cette organisation qui nous a obligés à réserver nos chambres deux-trois
jours à l’avance et à planifier nos trajets. On s’est sentis un peu moins
libres durant ce mois et demi et à cet égard, notre arrivée en Thaïlande il y a
quelques jours nous ravit !
À bientôt,
Sophie
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