Famille en balade au Lodhi Garden à Delhi |
Bonjour à tous,
Après une escale de quelques jours à Hong Kong, nous voici en
Inde depuis le 3 février. Nous avons été accueillis par Nisha et Aditya à New
Delhi pour 4 nuits de couchsurfing, 4 jours de découverte d'une ville dont les
contrastes sont hallucinants, et ce matin, le 8, nous avons pris notre premier
train indien, direction Jaipur, d'où je vous écris après avoir laissé la plume
à Sophie pendant plusieurs mois.
Skyline de Hong Kong |
Dur dur de passer de l'hiver thaïlandais (35 degrés) à l'hiver de Hong Kong (10 degrés) |
Marché au fleur de Kowloon |
Contraste entre les gratte-ciel et les échafaudages en bambou |
Hong Kong vu depuis Victoria Peak |
La skyline de nuit |
Éclipse lunaire à Hong Kong |
Le choc de l'Inde tient ses promesses. Nous nous sommes
plongés dans Old Delhi en nous accrochant comme nous le pouvions à quelques-uns
de nos repères, tandis que le bruit, la foule, les couleurs, les odeurs, la
pauvreté, la souffrance, la sueur, la vie nous déferlaient dessus à n'en plus
finir. Incapables de former le moindre jugement sur le monde sur lequel nous
jetions nos regards étourdis, admiratifs, aussi humbles que possible.
Comme d'habitude, les photos en disent plus que les mots.
Nous avons alterné les quartiers glauques, les embouteillages de rickshaws et
de livreurs, les vendeurs de tout et de rien, les mendiants, mais aussi les
palais, les jardins, les spectacles grandioses ; et découvert (comme en
Chine quoique dans un tout autre style) un univers plus grand que tout ce que
nous pouvons imaginer, un continent qui se lève et que nous ne pouvons
qu'admirer.
Old Delhi |
En compagnie d'Aditya et Nisha, chez qui nous avons passé quatre jours à Delhi |
Temple d'Akshardham (photo trouvée ici, puisque interdiction d'entrer avec un appareil photo) |
Je reviens sur ce blog après plusieurs mois, comme un ours
sort de l'hibernation qui lui a sauvé la peau pendant l'hiver.
Pour dire un mot de notre état d'esprit du moment, je dois
vous dire (comme Sophie l'évoquait à la fin du Cambodge) que l'Asie du Sud-Est
(que nous venons de laisser derrière nous) nous a laissés dans un état de
profonde réflexion sur notre place dans le monde, sur l'argent, l'écologie, la
façon dont nous mangeons, la façon dont nous nous habillons, etc. Au fond, sur
ce que nous attendons de l'existence. Rien de bien surprenant : une sorte
de bilan bien critique sur le monde occidental dans lequel nous avons grandi.
Pour dire les choses simplement, c'est une chose de savoir abstraitement que
nous avons grandi au sommet d'une pyramide dont on raconte que les fondements
sont en train de s'asphyxier dans la crasse (qu'on balance d'en haut) (tandis
que l'amer monte)... c'en est une autre de regarder les gens dans les yeux au
quotidien et de sentir au plus profond de son être qu'il n'y a qu'une seule
pyramide, que tout ça est profondément injuste et que chaque acte de
consommation en Occident augmente inlassablement cette injustice. Bref, nous
n'avions pas encore les pieds en Inde que nous sentions déjà sur quelles cordes
portait la transformation qui se passe en nous, jour après jour.
Old Delhi |
Et dans cet état d'esprit-là, nous débarquons à Delhi. Autant
vous dire que notre conscience écologique et humaniste est particulièrement
aiguisée pour le moment. Nous sommes plus conscients que jamais que les slums
de Delhi, les pauvres de l'Inde, sont nos pauvres à nous. Qu'il n'y a qu'une
seule planète. Nous parlons beaucoup ensemble d'un idéal de vie simple, où ce
qui ne nous est pas nécessaire doit être rendu à ceux qui en ont besoin, et où
la nature doit être au centre de tout. Le concept qui me travaille en
particulier, c'est le concept de dignité.
La dignité des autres et la mienne.
Old Delhi |
Sophie goûte le paan flambé à Delhi |
Humayun's Tomb à Delhi |
Le problème, selon moi, ce n'est pas la pauvreté. On a vu
beaucoup de gens pauvres depuis des mois, certains très malheureux, d'autres
plus heureux. Les plus heureux, nous les avons rencontrés au Laos (notre coup
de cœur pour le moment), dans des contextes agricoles, où chaque maison est une
ferme au sens le plus simple du terme, entourée de poules, de porcs et de
terres cultivées. Les plus malheureux nous les avons croisés au Cambodge, et
maintenant à Delhi, dans les contextes urbains, entassés par familles entières,
à même le sol, le long des routes dans des conditions de misère parfaitement
imaginables : il suffit d'imaginer le pire, puis pire encore.
Le problème, ce n'est pas le revenu moyen calculé en
dollars/jour, complètement abstrait. Le problème c'est la façon dont on peut
vivre avec cet argent, les plus heureux vivant dans un microcosme où l'argent a
peu de pouvoir et donc assez peu d'utilité et d'impact sur le bonheur (les
fermiers qui ont un toit, des ressources de nourriture, qui se sentent en
sécurité et qui vivent loin des panneaux publicitaires n'attendent pas grand
chose de bouts de papiers, si colorés soient-ils), les plus malheureux étant
ceux évoluant dans des systèmes (plutôt urbains) où l'argent est incontournable
et manque cruellement ; les femmes se prostituent parce que, l'un dans
l'autre, ce n'est pas pire que de gagner 40 centimes par jour dans un sweatshop
de nike ou d'h&m (pendant que les gosses traînent on ne sait où), les
hommes pédalent sur des tuk-tuk pour gagner 10 centimes du kilomètre, quand,
par bonheur, les touristes sont trop paresseux pour marcher.
Le problème dans cette histoire, c'est la dignité. Si les
gens (qu'on appelle « pauvres » à cause de notre prisme idiot du
dollar/jour) peuvent vivre dignement, les calculs statistiques perdent beaucoup
de leur importance. Et s'ils ne peuvent pas vivre dignement, même avec 1000€
par mois dans une capitale européenne, je me fiche qu'on statue sur leur degré
de pauvreté... mais qu'on s'assure que tout le monde puisse se loger, se
nourrir, se soigner, rencontrer, apprendre, jouer de la musique... et surtout, qu'on
casse les panneaux publicitaires (nom de Dieu).
Old Delhi vu depuis la mosquée Jama Masjid |
Notre vie, évidemment, sera marquée par ce voyage.
Je me souviens que six mois en Australie m'avaient fait
prendre conscience de ma liberté.
Six mois au Mali m'avaient fait prendre conscience de ma
chance.
Eh bien, six mois en Asie me font prendre conscience de ma
dignité.
De quelle façon puis-je me comporter qui soit digne de ce que
je comprends du monde qui m'entoure ? Est-ce que je reconnais la dignité
de chaque mourant que j'ai croisé sur les trottoirs ? La dignité de chaque
porc dont la vie se résume chez nous à l'engraissement, l'égorgement à six mois
et l'emballage sous vide ? La dignité des 60% d'individus mammifères qui
ont disparu de la surface du globe depuis les année 70 ? La dignité des
paysages du Cambodge inondés de plastique ? Et ma dignité... de porter une
grande attention à ce que je fais, dans tout ça.
Voilà, je voulais partager avec vous cette conscience qui
bouillonne en moi pour le moment : la conscience que je suis prêt à
changer beaucoup de choses contre une chance de me savoir digne de ce dont je
suis témoin.
Impressionnant embouteillage à Old Delhi |
Old Delhi |
Old Delhi |
Pour être honnête avec vous, je ne crois plus depuis
longtemps que nous avons une catastrophe écologique, économique et militaire à
éviter. Je suis parfaitement serein quant à l'évidence que la catastrophe est
en cours et qu'on est en train de se prendre le mur de plein fouet. Je pense
depuis longtemps que l'enjeu n'est pas de savoir si on va se prendre ce mur, mais
bien comment on est en train de se le prendre. La Terre, elle, s'en remettra
toujours, et l'être humain quoique très secoué, passera le cap et évoluera.
Mais grâce à ce voyage, j'arrive un peu mieux à mettre des
mots sur ma chance ; ma possibilité de vivre une vie heureuse, dont je
puisse être fier et où je puisse être témoin, autour de moi, du fait que les
êtres humains sont exceptionnels : ma vie est belle à chaque fois que je
suis digne de ma colère.
Merci de nous lire,
François
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerQuels beaux voyages vous faites, celui du monde réel avec ce qu’il comporte de beau et de pire et celui d’un cheminement personnel qui aboutira sur une perception de la vie réfléchie et choisie...
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