08 février 2018

Ce dont nous sommes témoins


Famille en balade au Lodhi Garden à Delhi
Bonjour à tous,

Après une escale de quelques jours à Hong Kong, nous voici en Inde depuis le 3 février. Nous avons été accueillis par Nisha et Aditya à New Delhi pour 4 nuits de couchsurfing, 4 jours de découverte d'une ville dont les contrastes sont hallucinants, et ce matin, le 8, nous avons pris notre premier train indien, direction Jaipur, d'où je vous écris après avoir laissé la plume à Sophie pendant plusieurs mois.

Skyline de Hong Kong
Dur dur de passer de l'hiver thaïlandais (35 degrés) à l'hiver de Hong Kong (10 degrés)



Marché au fleur de Kowloon

Contraste entre les gratte-ciel et les échafaudages en bambou

Hong Kong vu depuis Victoria Peak


La skyline de nuit
Éclipse lunaire à Hong Kong
Le choc de l'Inde tient ses promesses. Nous nous sommes plongés dans Old Delhi en nous accrochant comme nous le pouvions à quelques-uns de nos repères, tandis que le bruit, la foule, les couleurs, les odeurs, la pauvreté, la souffrance, la sueur, la vie nous déferlaient dessus à n'en plus finir. Incapables de former le moindre jugement sur le monde sur lequel nous jetions nos regards étourdis, admiratifs, aussi humbles que possible.

Comme d'habitude, les photos en disent plus que les mots. Nous avons alterné les quartiers glauques, les embouteillages de rickshaws et de livreurs, les vendeurs de tout et de rien, les mendiants, mais aussi les palais, les jardins, les spectacles grandioses ; et découvert (comme en Chine quoique dans un tout autre style) un univers plus grand que tout ce que nous pouvons imaginer, un continent qui se lève et que nous ne pouvons qu'admirer.

Old Delhi
En compagnie d'Aditya et Nisha, chez qui nous avons passé quatre jours à Delhi

 
Temple d'Akshardham (photo trouvée ici, puisque interdiction d'entrer avec un appareil photo)
Je reviens sur ce blog après plusieurs mois, comme un ours sort de l'hibernation qui lui a sauvé la peau pendant l'hiver.

Pour dire un mot de notre état d'esprit du moment, je dois vous dire (comme Sophie l'évoquait à la fin du Cambodge) que l'Asie du Sud-Est (que nous venons de laisser derrière nous) nous a laissés dans un état de profonde réflexion sur notre place dans le monde, sur l'argent, l'écologie, la façon dont nous mangeons, la façon dont nous nous habillons, etc. Au fond, sur ce que nous attendons de l'existence. Rien de bien surprenant : une sorte de bilan bien critique sur le monde occidental dans lequel nous avons grandi. Pour dire les choses simplement, c'est une chose de savoir abstraitement que nous avons grandi au sommet d'une pyramide dont on raconte que les fondements sont en train de s'asphyxier dans la crasse (qu'on balance d'en haut) (tandis que l'amer monte)... c'en est une autre de regarder les gens dans les yeux au quotidien et de sentir au plus profond de son être qu'il n'y a qu'une seule pyramide, que tout ça est profondément injuste et que chaque acte de consommation en Occident augmente inlassablement cette injustice. Bref, nous n'avions pas encore les pieds en Inde que nous sentions déjà sur quelles cordes portait la transformation qui se passe en nous, jour après jour.

Old Delhi

 
Mughal Gardens
Et dans cet état d'esprit-là, nous débarquons à Delhi. Autant vous dire que notre conscience écologique et humaniste est particulièrement aiguisée pour le moment. Nous sommes plus conscients que jamais que les slums de Delhi, les pauvres de l'Inde, sont nos pauvres à nous. Qu'il n'y a qu'une seule planète. Nous parlons beaucoup ensemble d'un idéal de vie simple, où ce qui ne nous est pas nécessaire doit être rendu à ceux qui en ont besoin, et où la nature doit être au centre de tout. Le concept qui me travaille en particulier, c'est le concept de dignité.

La dignité des autres et la mienne.

Old Delhi
Sophie goûte le paan flambé à Delhi

Humayun's Tomb à Delhi


Le problème, selon moi, ce n'est pas la pauvreté. On a vu beaucoup de gens pauvres depuis des mois, certains très malheureux, d'autres plus heureux. Les plus heureux, nous les avons rencontrés au Laos (notre coup de cœur pour le moment), dans des contextes agricoles, où chaque maison est une ferme au sens le plus simple du terme, entourée de poules, de porcs et de terres cultivées. Les plus malheureux nous les avons croisés au Cambodge, et maintenant à Delhi, dans les contextes urbains, entassés par familles entières, à même le sol, le long des routes dans des conditions de misère parfaitement imaginables : il suffit d'imaginer le pire, puis pire encore.

Le problème, ce n'est pas le revenu moyen calculé en dollars/jour, complètement abstrait. Le problème c'est la façon dont on peut vivre avec cet argent, les plus heureux vivant dans un microcosme où l'argent a peu de pouvoir et donc assez peu d'utilité et d'impact sur le bonheur (les fermiers qui ont un toit, des ressources de nourriture, qui se sentent en sécurité et qui vivent loin des panneaux publicitaires n'attendent pas grand chose de bouts de papiers, si colorés soient-ils), les plus malheureux étant ceux évoluant dans des systèmes (plutôt urbains) où l'argent est incontournable et manque cruellement ; les femmes se prostituent parce que, l'un dans l'autre, ce n'est pas pire que de gagner 40 centimes par jour dans un sweatshop de nike ou d'h&m (pendant que les gosses traînent on ne sait où), les hommes pédalent sur des tuk-tuk pour gagner 10 centimes du kilomètre, quand, par bonheur, les touristes sont trop paresseux pour marcher.

Le problème dans cette histoire, c'est la dignité. Si les gens (qu'on appelle « pauvres » à cause de notre prisme idiot du dollar/jour) peuvent vivre dignement, les calculs statistiques perdent beaucoup de leur importance. Et s'ils ne peuvent pas vivre dignement, même avec 1000€ par mois dans une capitale européenne, je me fiche qu'on statue sur leur degré de pauvreté... mais qu'on s'assure que tout le monde puisse se loger, se nourrir, se soigner, rencontrer, apprendre, jouer de la musique... et surtout, qu'on casse les panneaux publicitaires (nom de Dieu).

Old Delhi vu depuis la mosquée Jama Masjid

 

Notre vie, évidemment, sera marquée par ce voyage.

Je me souviens que six mois en Australie m'avaient fait prendre conscience de ma liberté.
Six mois au Mali m'avaient fait prendre conscience de ma chance.
Eh bien, six mois en Asie me font prendre conscience de ma dignité.

De quelle façon puis-je me comporter qui soit digne de ce que je comprends du monde qui m'entoure ? Est-ce que je reconnais la dignité de chaque mourant que j'ai croisé sur les trottoirs ? La dignité de chaque porc dont la vie se résume chez nous à l'engraissement, l'égorgement à six mois et l'emballage sous vide ? La dignité des 60% d'individus mammifères qui ont disparu de la surface du globe depuis les année 70 ? La dignité des paysages du Cambodge inondés de plastique ? Et ma dignité... de porter une grande attention à ce que je fais, dans tout ça.

Voilà, je voulais partager avec vous cette conscience qui bouillonne en moi pour le moment : la conscience que je suis prêt à changer beaucoup de choses contre une chance de me savoir digne de ce dont je suis témoin.

Impressionnant embouteillage à Old Delhi
Old Delhi
Old Delhi
Pour être honnête avec vous, je ne crois plus depuis longtemps que nous avons une catastrophe écologique, économique et militaire à éviter. Je suis parfaitement serein quant à l'évidence que la catastrophe est en cours et qu'on est en train de se prendre le mur de plein fouet. Je pense depuis longtemps que l'enjeu n'est pas de savoir si on va se prendre ce mur, mais bien comment on est en train de se le prendre. La Terre, elle, s'en remettra toujours, et l'être humain quoique très secoué, passera le cap et évoluera.

Mais grâce à ce voyage, j'arrive un peu mieux à mettre des mots sur ma chance ; ma possibilité de vivre une vie heureuse, dont je puisse être fier et où je puisse être témoin, autour de moi, du fait que les êtres humains sont exceptionnels : ma vie est belle à chaque fois que je suis digne de ma colère.

Merci de nous lire,

François


2 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Quels beaux voyages vous faites, celui du monde réel avec ce qu’il comporte de beau et de pire et celui d’un cheminement personnel qui aboutira sur une perception de la vie réfléchie et choisie...

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